Communiqué
Global

Les discordances entre les secteurs public et privé font le jeu des trafiquants. Unissons nos efforts pour protéger les victimes.

Par William Lacy Swing, Directeur général de l’OIM

Jamais la main-d’œuvre n’a été aussi mobile dans le monde. Qu’il s’agisse du jardinier en Californie, du banquier à Singapour, du plongeur dans un restaurant à Rome ou du designer à Londres, l’ambition humaine se manifeste aux quatre coins de la planète. Aujourd’hui, tout un chacun, qualifié ou non, détenteur d’un permis de travail ou non, poursuit un même but : exercer ses talents là où ils sont les mieux rémunérés.

Des considérations économiques simples motivent ces voyages, qui commencent par le rêve d’une vie meilleure et, dès lors qu’ils se déroulent de manière sûre et ordonnée, peuvent apporter d’énormes avantages collectifs aux pays d’origine et de destination.

Cependant, tandis que nous célébrons la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains, la réalité nous rappelle malheureusement que, trop souvent, les migrants sont exposés à des risques d’exploitation et de maltraitance disproportionnés lorsqu’ils se mettent en quête de meilleures possibilités d’emploi loin de chez eux.

Chaque année, des millions de migrants sont victimes de la traite à l’intérieur et au-delà des frontières et se trouvent pris au piège du travail forcé. Parfois, des hommes et des femmes sont contraints de travailler par la force, subissant des violences, des menaces ou des manipulations psychologiques. Souvent endettés à cause de procédures de recrutement ou de conditions d’emploi iniques, ils doivent en outre faire face aux pressions énormes de leur famille et de leur communauté,  qui peuvent elles-mêmes avoir contracté des dettes simplement pour leur permettre d’entamer leur recherche d’emploi.

D’autres formes d’exploitation sont à peine moins inhumaines : devoir trimer dans des conditions dangereuses, se contenter d’un salaire de misère ou être confronté à des déductions cachées et à des restrictions excessives pendant et en dehors des heures de travail. Tous ces abus font du tort aux migrants et portent atteinte à leurs droits.

Ces pratiques abusives peuvent se produire tout le long de la chaîne d’approvisionnement d’un secteur, et peuvent facilement passer inaperçues parmi les différentes couches de sous-traitants. En tant que consommateurs toujours à l’affût de biens et de services bon marché, il nous incombe de songer aux travailleurs qui fabriquent les produits dont nous avons envie et fournissent les services dont nous avons besoin.

Aujourd’hui, aucun pays ni aucun secteur n’est épargné par la traite des personnes. Que ce soit dans l’industrie du café, de l’habillement ou de la construction, une chose est sûre : aucun lieu de travail ni aucune communauté n’est à l’abri.

Le phénomène est à ce point omniprésent que seule une approche mondiale associant l’ensemble des parties prenantes permet de le combattre. Les consommateurs, en particulier, doivent unir leurs forces avec celles des pouvoirs publics et des milieux d’affaires locaux pour exiger le respect de normes de travail décentes. Nous devons tous insister pour que les chaînes d’approvisionnement soient exemptes de traite d’êtres humains et de toute autre forme d’exploitation.

Des signes de changement sont d’ores et déjà perceptibles. De plus en plus d’entreprises prennent des mesures dans leurs chaînes d’approvisionnement, et les gouvernements sont de plus en plus nombreux à élaborer de nouvelles politiques et de nouveaux mécanismes de contrôle afin de renforcer la responsabilité des milieux d’affaires. Un rôle essentiel est joué par la société civile, qui défend les droits des migrants et veille à ce qu’ils aient accès aux services de protection et d’assistance dont ils ont besoin.

Un exemple célèbre : En 2015, le monde a appris que des mauvais traitements étaient infligés à grande échelle aux travailleurs employés dans les pêcheries en Asie du Sud-Est. Des centaines d’entre eux y étaient pratiquement réduits en esclavage. Les gouvernements n’avaient souvent pas les moyens de faire respecter les normes de protection, que de nombreux employeurs avaient appris à ignorer.

Les choses commencent à changer. Les consommateurs et le grand commerce de détail, conscients des incidences négatives des abus commis dans les chaînes d’approvisionnement, réclament désormais davantage de transparence. Pour leur part, des gouvernements adoptent de nouvelles lois assujettissant les multinationales qui commercialisent les produits de la mer à une obligation redditionnelle plus grande.

Ces tendances positives sont certes encourageantes, mais il reste encore beaucoup à faire. J’insisterai aujourd’hui sur un défi clé, que je considère comme la prochaine priorité en matière de mobilisation de la chaîne d’approvisionnement : obtenir du secteur privé qu’il garantisse aux migrants lésés l’accès aux réparations et à la justice comme ils le méritent.

Parallèlement au renforcement du principe de précaution, les entreprises peuvent et doivent assumer la responsabilité des torts causés à leurs travailleurs, et veiller à ce que toutes les mesures possibles soient prises pour aider les victimes de la traite à se relever - ce qu’elles peuvent faire en collaborant étroitement avec les gouvernements, les organisations de la société civile, les organisations internationales et les victimes. C’est aux Etats qu’il incombe au premier chef de lutter contre la traite d’êtres humains et de protéger les victimes. Une articulation plus étroite entre les efforts publics et privés d’aide aux victimes de la traite permettra aux mesures collectives prises pour reconstruire des vies brisées d’être couronnées de succès.

Au début de l’année, l’OIM, l’organisme des Nations Unies chargé des migrations, a fait paraître des lignes directrices à l’intention des entreprises afin de relever ce défi. Conformément au cadre « Protéger, respecter et réparer » des Nations Unies, ce document sur les réparations présente les nombreux moyens dont disposent les milieux d’affaires pour offrir réparation aux victimes  d’exploitation, en partenariat avec des acteurs locaux étatiques et non étatiques.

Ces moyens revêtent notamment les formes suivantes : faciliter l’accès aux services et aux dispositifs de soutien destinés aux victimes, tels que les soins médicaux et psychosociaux ; placer les victimes dans de nouveaux environnements de travail ; proposer le retour volontaire dans les pays d’origine ; et appuyer le relèvement, la réadaptation et la réintégration lorsque c’est possible. Les milieux d’affaires doivent également veiller à se doter d’un système de retour d’information, afin de pouvoir améliorer en permanence les mécanismes de signalement, la protection des lanceurs d’alerte et la prévention de préjudices supplémentaires.

De plus en plus d’entreprises font front commun pour s’atteler aux risques qui existent dans les chaînes d’approvisionnement. Cependant, les réparations aux victimes de la traite restent un domaine d’intervention nouveau pour le secteur privé. C’est pourquoi nous devons redoubler d’efforts pour que l’aide aux victimes de la traite devienne un pilier essentiel de notre action.

Cliquer ici pour accéder aux lignes directrices de l’OIM intitulées IOM’s Remediation Guidelines for Victims of Human Trafficking in Extended Mineral Supply Chains.