Migrant Stories

La question des droits et des devoirs des travailleurs migrants birmans en Thaïlande

Il reste peu de traces du tsunami de décembre 2004 sur les
plages de sable blanc bordées de palmiers qui
s'étirent sur 200 kilomètres au nord de l'île
touristique de Phuket, à proximité de la
frontière avec le Myanmar.

Les vacanciers sont revenus en masse dans l'un des sites les
plus touristiques au monde. Ce sont en majorité des
travailleurs migrants originaires du Myanmar qui ont rebâti
ce site, trois ans après le désastre qui a
dévasté les hôtels et les villages de
pêcheurs, tuant près de 8000 personnes et laissant
derrière lui des dizaines de milliers de
déplacés.

Aye est une migrante birmane de 28 ans qui gagne 100 Bahts
thaïlandais (3 dollars) par jour en fabriquant des briques sur
le site de Khao Lak. Le tsunami a bouleversé sa vie en
emportant son jeune frère qui travaillait au même
endroit qu'elle.

« Notre chef s'est rendu compte qu'un tsunami allait se
produire et nous a emmenés sur les hautes terres à
temps. Mais mon frère était dans un pick-up avec un
autre homme pour ramener du matériel de construction et ils
sont morts noyés » explique Aye.

« A notre retour sur le chantier, nous avons vu leurs
corps sur la plage, mais la police nous a dit que nous ne pouvions
pas les prendre avant l'identification officielle au poste de
police. Nous avions peur d'être arrêtés si nous
revenions » ajoute Aye.

Un an plus tard, encouragée par un de ses frères
aînés venu du Myanmar et avec l'aide de l'OIM et du
personnel soignant du Ministère de la Santé Publique,
Aye s'est rendue à la morgue de Phang Nga pour
l'identification des victimes du tsunami en Thaïlande pour
fournir un échantillon d'ADN et réclamer
officiellement le corps de son frère parmi les centaines de
corps conservés dans des casiers
réfrigérés, dont ceux de migrants birmans que
leurs familles n'osaient pas réclamer.

Pour près de deux millions de migrants birmans
travaillant légalement ou illégalement en
Thaïlande, la peur d'être arrêtés et
renvoyés au Myanmar – un pays secoué par des
crises économiques et politiques – est une
réalité au quotidien. Le manque de perspectives
économiques a pour conséquence que peu de Birmans
refuseraient un travail, quel qu'il soit, en Thaïlande, dont
l'économie est florissante.

« S'ils sont expulsés depuis Ranong (ville
située au sud du pays), ils trouvent
généralement un moyen de revenir. Mais s'ils sont
expulsés depuis Mae Sot (située plus au nord), ils
ont plus de risques d'être dévalisés ou
d'être forcés de travailler par des militaires birmans
» explique le sympathique employeur thaïlandais d'Aye
à Khao Lak.

Comme beaucoup d'employeurs thaïlandais, il estime que les
Birmans sont de bons employés, qui travaillent plus et sont
moins chers que les employés thaïlandais.

Mais les procédures d'enregistrement de travailleurs
migrants sont compliquées et relativement coûteuses en
Thaïlande, ce qui a pour conséquence que de nombreux
Birmans et leurs employeurs thaïlandais continuent de
contourner les procédures légales. Les employeurs
sont donc susceptibles d'être poursuivis et les
employés ne sont pas couverts et peuvent être victimes
d'abus.

Vipunjit Ketunuti est en charge du programme de gestion des
migrations pour le travail de l'OIM en Thaïlande et dirige un
projet de l'OIM financé par USAID visant à informer
les travailleurs migrants, les employeurs et les fonctionnaires
locaux de leurs droits et de leurs devoirs ainsi que de la
législation en matière de migrations pour le travail.
Elle explique que la confusion et le manque d'information a
poussé certains gouvernements provinciaux thaïlandais
à introduire de nouvelles législations qui ne font
qu'exacerber le problème.

« Les employeurs et les migrants qui respectent la
législation thaïlandaise et qui s'enregistrent
auprès des autorités devraient être
encouragés et protégés. Mais les
législations adoptées cette année dans quatre
provinces frontalières en vue d'améliorer la gestion
des travailleurs migrants risquent d'être contre-productives
» explique Vipunjit Ketunuti.

Ainsi, à Phang Nga, où travaille Aye, et sur
l'île touristique de Phuket, les migrants enregistrés
sont désormais soumis à un couvre-feu de 20h à
6 h. S'ils sont contrôlés par la police et qu'ils
n'ont pas leurs papiers d'identité, ils risquent l'expulsion
immédiate.

Ils n'ont pas le droit de sortir de la province où ils
travaillent sans une autorisation spéciale et ils n'ont le
droit de ne conduire ni voiture, ni motocyclette. Ils ne peuvent se
joindre à un groupe de plus de cinq personnes et n'ont pas
le droit d'avoir un téléphone portable sans
autorisation préalable de leur employeur.

« La législation oblige les employeurs à
n'employer que des travailleurs enregistrés et à leur
fournir un logement décent. Mais si les employeurs risquent
désormais de petites amendes s'ils ne se conforment pas
à la législation, les migrants enregistrés
légalement sont encore plus menacés par les
expulsions » explique Vipunjit Ketunuti.

Pour de nombreux travailleurs migrants birmans mal payés,
qui étaient réticents à l'idée de payer
des frais d'enregistrement représentant près d'un
mois de salaire et qui hésitaient à recourir aux
services de santé thaïlandais auxquels cet
enregistrement donne accès, ces mesures peuvent faire
pencher la balance au moment de choisir de travailler
légalement ou illégalement en Thaïlande.

En outre, il existe peu de voies légales pour travailler
en Thaïlande pour les travailleurs birmans, et ils entrent
donc pour la plupart illégalement dans le pays. La
Thaïlande n'a pas offert la possibilité aux migrants
irréguliers de s'enregistrer et de régulariser leur
situation depuis 2004.

Les migrants qui ont d'ores et déjà
été enregistrés et qui ont un permis de
travail peuvent le renouveler tous les ans contre 3800 bahts
thaïlandais (112 dollars), dont 600 bahts pour un examen
médical et 1300 bahts pour leur assurance santé.

Mais de nombreux migrants birmans s'en remettent à un
intermédiaire pour ces démarches, ce qui augmente de
près de 50 pour cent les frais – soit un
élément dissuasif supplémentaire pour
renouveler tous les ans leur permis de travail.

« Certains employeurs peu scrupuleux trouvent
également un avantage à engager des migrants
irréguliers qui vivent en marge de la société
thaïlandaise, menacés par les expulsions
immédiates et qui ne sont pas en mesure de négocier
leurs contrats avec leurs employeurs » explique Federico
Soda, spécialiste de l'OIM des migrations régionales
pour le travail.

Mais d'après Vipunjit Ketunuti, les autorités
thaïlandaises sont pleinement conscientes des risques en
termes sociaux ou sanitaires qui découlent de la
marginalisation de près d'1,5 million de migrants
irréguliers et leurs proches installés en
Thaïlande, poussés dans la clandestinité.

« La marginalisation d'une génération
d'enfants migrants exclus de l'éducation ou l'exclusion des
communautés de migrants des plans de lutte contre une
pandémie de grippe aviaire ou de préparation à
un second tsunami sont désormais des questions reconnues de
tous qui doivent être résolues par le gouvernement
» ajoute Vipunjit Ketunuti.

« Le projet mis en oeuvre par l'OIM en faveur des droits
des migrants en Thaïlande a pour objectif de soutenir les
efforts du gouvernement en vue de relever ces défis. En
réunissant les représentants du gouvernement, les
employeurs et les travailleurs migrants grâce au partage des
informations, et en instaurant une relation de confiance, nous
pensons que nous apportons notre contribution en vue
d'établir un système plus transparent qui permettra
peut-être d'optimiser les bénéfices
économiques des migrations pour le travail, tout en
protégeant les droits des migrants et de leurs familles,
dans le respect des normes internationales » ajoute Vipunjit
Ketunuti.