Déclarations et discours
29 oct 2008

Allocution de William Lacy Swing au forum mondial sur la migration et le developpement

Monsieur le Président Arroyo,
Monsieur le Secrétaire général Ban,
Monsieur le Secrétaire général du Secrétariat ACP,
Mesdames et Messieurs les Ministres, Excellences, Mesdames et Messieurs les délégués, chers collègues,

C'est un honneur de prendre part à ce deuxième Forum mondial sur la migration et le développement – qui survient moins d'un mois après ma prise de fonctions à la tête de l'Organisation internationale pour les migrations. Ma présence parmi vous aujourd'hui porte témoignage de mon message essentiel:  

I.  Un dialogue mondial – la pièce manquante de la mosaïque migratoire

L'OIM est fermement convaincue que le dialogue revêt une importance cruciale pour la compréhension du fait migratoire et la coopération internationale en la matière.  Les Etats ont mis sur pied ce forum pour servir de véhicule à un tel dialogue, soucieux de conférer une réelle dimension mondiale à la mosaïque des opportunités existantes en termes de débats informels aux niveaux national, bilatéral et régional. A l'instar des quatorze processus consultatifs régionaux sur la question migratoire que soutient l'OIM, je voudrais assurer les participants à ce Forum que nous nous tenons prêts à répondre favorablement à toute requête que vous pourriez formuler. 

D'énormes progrès ont été faits ces dernières années en ce qui concerne le dialogue entre Etats sur la question migratoire au niveau mondial.  Le Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement de l'Assemblée générale des Nations Unies de 2006 a constitué une étape de première importance à cet égard. Depuis quelque temps déjà, cette question mobilisait en permanence l'attention de la communauté internationale. Ce qui manquait, cependant, c'était un thème fort et unificateur qui puisse mettre de la cohérence dans la réflexion et dans l'action. La thématique migration et développement est apparue comme ayant le potentiel de réunir de nombreuses parties prenantes hétérogènes, à savoir les pays d'origine, de transit et de destination, les organisations internationales, la société civile, le secteur privé, les syndicats et – le plus important –, les migrants eux-mêmes. Le Dialogue de haut niveau a démontré que des Etats de toute provenance géographique peuvent s'assoir à une table commune pour mener un débat constructif, même s'ils ont des perspectives et des expériences migratoires divergentes. Cette approche positive est l'un des principaux accomplissements de ce Dialogue. Aujourd'hui, le Forum mondial met les Etats en mesure de prendre appui sur les résultats du Dialogue de haut niveau en recensant les méthodes concrètes devant permettre d'agir au niveau des liens entre les migrations et le développement. 

Peut-être le meilleur gage de cette confiance grandissante qui imprègne le dialogue interétatique sur la migration nous est-il donné par le thème choisi pour ce Forum mondial: “Protéger et renforcer la capacité des migrants pour le développement”.  Il y a seulement quelques années en arrière, beaucoup auraient jugé ce thème trop controversé pour faire l'objet d'un débat à l'échelle mondiale. Je félicite le Gouvernement philippin pour la détermination dont il a fait preuve en se saisissant de ce thème critique dans un esprit constructif, s'efforçant de suggérer de possibles approches pratiques tout en soulignant le principe de la responsabilité partagée.

II.  Migration et Développement – l'équation essentielle

L'équation migration/développement revêt une importance critique.  On est ici en présence d'une forme de relation double aux effets à la fois positifs et négatifs. En même temps que la migration peut être le résultat d'un manque de développement, elle peut aussi être à l'origine d'un allégement ou au contraire d'une aggravation du sous-développement. On voit donc bien que la migration ne peut pas être désignée péremptoirement comme un obstacle au développement, mais qu'elle n'est pas non plus une sorte de baguette magique au service du développement. Au contraire, que cela soit dans la sphère migratoire ou dans celle du développement, il nous appartient d'œuvrer à l'élaboration de politiques soigneusement pensées pour amplifier ce que la migration a de bon à offrir au développement, et en atténuer les effets néfastes.

Si l'on constate une prise de conscience croissante des liens unissant migration et développement, la plupart des cadres de développement stratégique, à commencer par les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et la plupart des politiques gouvernementales en matière de développement, tels que les Documents nationaux de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP), n'intègrent toujours pas la question migratoire de manière systématique. On observe cependant que cela change peu à peu. L'OIM encourage la communauté internationale à faire de la question migratoire un élément plus régulier des politiques et de la planification en matière de développement. A cet effet, elle collabore avec un certain nombre de pays pour intégrer la question migratoire dans leurs DSRP et, avec quelques agences partenaires, elle a entrepris la rédaction d'un manuel dont l'objet est d'aider les pays en développement à faire que le lien entre la migration et la lutte contre la pauvreté devienne une réalité. Plus généralement, l'Organisation s'attache à mettre au point des politiques migratoires s'accordant ave le développement et faisant plus largement place à la perspective du développement, en ciblant notamment les Objectifs du Millénaire pour le développement. On est frappé de voir que ces idées commencent en effet à se faire un chemin dans un nombre sans cesse croissant de plans nationaux de développement. 

Comment faire pour réaliser le bénéfice commun que peut offrir l'exploitation du potentiel positif de la migration pour le développement? Une approche globale s'impose absolument pour que le traitement de l'équation migration/ développement soit un succès. Cela signifie qu'il faut prendre en considération non seulement les liens qui unissent ces deux domaines, mais aussi ceux qui les rattachent à d'autres domaines d'importance critique. Des mesures positives sont prises dans ce sens – on voit par exemple que la relation complexe unissant le fait migratoire, le développement et le commerce s'impose de plus en plus dans ce débat. Cependant, il existe certains autres domaines qui influent eux aussi sur la migration et le développement et qui mériteraient davantage d'attention:  la santé, par exemple, est souvent absente du débat mondial sur la question, alors même que la prise en compte des besoins sanitaires et des droits des migrants revêt une importance cruciale sur le plan des efforts à déployer pour faire de la migration quelque chose de plus humain et de plus productif, tant pour les individus que pour les sociétés. La pénurie de professionnels de la santé là où les services sanitaires sont un besoin vital, due en partie à l'émigration, est une préoccupation grandissante à l'échelle mondiale. L'éducation et l'environnement, pour ne citer que ces deux autres exemples, mériteraient aussi d'avantage d'attention.

III.  La gouvernance du phénomène migratoire est une question de  capacités

Aider les gouvernements à se doter des capacités essentielles pour réaliser le potentiel de développement que recèle le phénomène migratoire est aujourd'hui la tâche majeure qui nous incombe – et elle est fondamentale dans une perspective de bonne gouvernance. A défaut de disposer des fondamentaux nécessaires – des politiques complètes et cohérentes, des structures juridiques et administratives saines et en bon état, et un personnel bien formé –, les gouvernements resteront démunis pour exploiter les avantages potentiels qu'offre la migration. En d'autres termes, l'heure est venue de mettre prioritairement l'accent sur la gouvernance de la migration, aux niveaux tant national qu'international. Et il est temps également de faire en sorte que les gouvernements qui en ont besoin soient mis en mesure d'accroître réellement leurs capacités.  

Le respect des droits de l'homme est un élément clé de la gouvernance des migrations.  Le respect effectif des droits de l'homme des migrants est le socle sur lequel les migrations pourront contribuer positivement au développement des pays d'origine et de destination. De la même façon, la protection des droits de l'homme des migrants revêt une importance fondamentale si l'on veut faire de la migration une expérience sûre, digne et enrichissante pour les migrants eux-mêmes. Mettre pleinement en valeur le potentiel humain suppose entre autres de donner aux candidats migrants un choix réel entre l'option d'émigrer et celle de ne pas émigrer, ce qui est une autre façon de dire que le développement commence dans le pays d'origine. La protection des droits des migrants est nécessaire à toutes les étapes du cycle de vie migratoire ; toutes les formes de discrimination, d'intolérance et de racisme doivent être fermement rejetées. Il faut à tout moment que la priorité soit la prise en compte particulière des besoins des migrants plus spécialement vulnérables, ce qui suppose de prêter attention aux considérations de sexe, d'âge et de santé.

Le bien-être des migrants est une préoccupation que l'on retrouve dans les documents constitutifs de l'Organisation – et qui se reflète dans ses activités, ses projets et ses programmes – depuis sa création il y a maintenant plus d'un demi-siècle. L'OIM mène un combat résolu pour le respect effectif des droits de l'homme de tous les migrants.

Un mot de mise en garde s'impose dans le climat économique actuel: aujourd'hui, comme lors des périodes précédentes de ralentissement économique, il existe un risque de voir stigmatiser les migrants. Nous devons œuvrer tous ensemble pour éviter que cela se produise et veiller à une perception juste et équilibrée de la réalité migratoire dans le grand public. Il est vrai que la demande de main-d'œuvre immigrée risque de diminuer dans certains contextes, et que cela entraînera une baisse des rapatriements de fonds. Cependant, le besoin essentiel de main-d'œuvre immigrée dans certains pays et dans certains secteurs restera une tendance dominante à long terme en raison de la persistance des réalités économiques et démographiques, comme le montre le Rapport de l'OIM Etat de la migration dans le monde 2008 – Gestion de la mobilité de la main-d'œuvre dans une économie mondiale en mutation.

Il faut que les politiques en matière de migration de main-d'œuvre restent flexibles et qu'elles s'adaptent aux circonstances changeantes. Mais sachons dépasser les contingences immédiates, ne perdons pas de vue les fondamentaux et ne laissons pas  faire que les migrants soient la cible d'attaques racistes ou xénophobes. Au gré de la mise en place des mesures prises pour atténuer les conséquences de ce ralentissement économique, faisons en sorte que les besoins des migrants soient spécialement pris en compte dans la recherche de solutions et de bien comprendre les effets qu'auront sur eux ce ralentissement, tout comme les mesures prises pour y remédier. 

IV.  La clé du succès: les partenariats

Les partenariats sont d'une importance primordiale, et les initiatives prises aux niveaux national, régional, interrégional et mondial sont complémentaires.  J'ai eu l'occasion de souligner l'importance d'incorporer la question migratoire dans les agendas nationaux en matière de planification du développement. Au niveau régional, j'aimerais souligner l'existence des processus consultatifs régionaux (PCR) en matière migratoire, entre autres expressions formelles et informelles du dialogue et de la coopération à l'échelle régionale. Il s'agit de mécanismes clés de la compréhension et de l'action multilatérales en matière migratoire. Les PCR se sont multipliés au cours des vingt dernières années et il n'existe pratiquement pas de région au monde qui n'ait pas le sien. Bon nombre de consultations régionales réservent un traitement prioritaire à l'équation migration/développement, tandis que d'autres adoptent une approche plus ponctuelle. Nous aurons l'occasion, dans le courant de 2009, de réunir les secrétariats des principaux processus consultatifs régionaux et les gouvernements qui en assurent la présidence afin d'explorer les synergies potentielles et de faire en sorte qu'ils en tirent mutuellement les enseignements utiles. De plus en plus, des opportunités de dialogue sur les questions migratoires se présentent sous l'action d'entités régionales et sous-régionales et de processus d'intégration économique ayant récemment ajouté la question migratoire à leurs ordres du jour. Des dialogues interrégionaux d'importance sont à présent consacrés à l'équation migration/développement et peuvent offrir des perspectives intéressantes de coopération en ce qui concerne les flux migratoires interrégionaux.

Face à la progression constante de la coopération interétatique, les partenariats entre agences revêtent une importance tout aussi fondamentale.  Les Etats Membres ont chargé l'OIM de traiter de la question migratoire dans ses aspects multiples. Cela étant, nous reconnaissons le savoir-faire précieux d'autres institutions et entités dans différents domaines de la question migratoire. Nous saluons le rôle qu'elles jouent à ce niveau. J'aimerais ici évoquer en particulier la place qu'a prise le Groupe mondial sur la migration (GMG),  qui est le mécanisme de coordination mis sur pied par plusieurs organisations intergouvernementales traitant de questions migratoires. Le GMG peut jouer un rôle déterminant dans les efforts tendant à tirer tout le parti possible des migrations, par exemple en assurant une cohérence maximale et en agissant au niveau de la complémentarité des politiques et des programmes. Les agences membres du GMG viennent de publier conjointement un rapport sur la migration internationale et les droits de l'homme à l'occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et à titre de contribution au FMMD. Il est possible de faire davantage encore et il faudrait faire davantage.

Pour sa part, l'OIM est déterminée à œuvrer sans relâche au succès du processus engagé avec le FMMD. A cet effet, elle a détaché un expert de la migration auprès de l'équipe spéciale mise sur pied pour la première et la deuxième réunions du Forum.  Nous avons répondu positivement aux invitations du Gouvernement philippin et de plusieurs autres gouvernements à l'effet de contribuer aux préparatifs des discussions qui auront lieu aujourd'hui et demain, notamment par la rédaction de documents de travail destinés aux tables rondes et en organisant d'autres formes de contributions, en étroite collaboration avec les gouvernements à la manœuvre.

Je terminerai en réitérant l'engagement de l'OIM à assister la communauté internationale dans la réalisation du plein potentiel de développement qu'offre la migration et à promouvoir des flux migratoires plus ordonnés et plus humains, dans l'entier respect des droits humains de tous les migrants.

L'OIM se réjouit par avance des délibérations qui se tiendront dans le cadre de ce Forum mondial de Manille sur la Migration et le Développement, et est très désireuse d'y donner suite.